Synthèse
RECI a exprimé ses préoccupations concernant la nouvelle stratégie suisse de coopération internationale 2025-2028 lors de la procédure de consultation facultative.
Bien que la Suisse ait de plus en plus promu l’éducation sur la scène internationale ces dernières années, le RECI est déçu que cette priorité ne soit pas adéquatement reflétée dans la nouvelle stratégie. Le RECI souligne l’importance fondamentale de l’éducation en tant que droit de l’homme et condition préalable à la réalisation de tous les autres objectifs de développement durable (ODD). Le RECI exprime également ses préoccupations quant à la réduction du budget de la coopération internationale et souligne que l’assistance financière exceptionnelle à l’Ukraine doit être financée par un crédit supplémentaire afin de garantir que les investissements de longue date ne soient pas mis en péril et que les pays les plus pauvres puissent continuer à être soutenus.
Dans son document de synthèse, le RECI propose des recommandations spécifiques, telles que mettre davantage l’accent sur l’éducation en tant que thème central du développement humain, promouvoir un continuum éducatif inclusif et souligner le rôle de l’éducation dans la réalisation des ODD liés au développement économique durable, à l’environnement, à la paix et à la gouvernance.
Stratégie suisse de coopération internationale 2025-2028
Déclaration du RECI dans le cadre de la procédure de consultation facultative
“Sans éducation, il n’y a pas de développement”.
Le conseiller fédéral Ignazio Cassis lors du deuxième Forum de la CI Genève, 15 février 2023
https://www.admin.ch/gov/en/start/documentation/media-releases.msg-id-93098.html
Le RECI est le réseau suisse pour l’éducation et la coopération internationale. Avec ses 40 membres – ONG, institutions académiques, fondations. et experts individuels – Le RECI promeut le droit à une éducation de qualité et à l’apprentissage tout au long de la vie pour tous dans le monde entier.
Le RECI se réjouit de pouvoir commenter le projet de Stratégie suisse de coopération internationale 2025-2028 dans le cadre du processus de consultation. Nous sommes heureux de partager les contributions suivantes, qui ont été élaborées et approuvées conjointement par les membres du RECI.
I. Remarques introductives
1. La Suisse, avocate de l’éducation à travers ses engagements bilatéraux et multilatéraux
La Suisse s’est positionnée comme un acteur important pour promouvoir l’éducation à travers son engagement bilatéral et multilatéral et ses contributions notables au dialogue politique international sur l’éducation au cours des dernières années. La création du Hub mondial de Genève pour l’éducation dans les situations d’urgence, la représentation de la Suisse au comité du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), son soutien à l’initiative “L’éducation sans délai” (Education Cannot Wait) et ses engagements forts en faveur de l’éducation lors du Forum mondial sur les réfugiés ne sont que quelques exemples de cet engagement important, qui est très visible et reconnu au niveau international. Le RECI apprécie et soutient fortement cet engagement. Nous sommes d’autant plus surpris de constater que la priorité accordée par la Suisse à l’éducation dans le dialogue politique international ne se reflète pas de manière adéquate dans la nouvelle Stratégie suisse de coopération internationale 2025-2028.
2. La coopération suisse, l’Agenda 2030 et le cadre des droits de l’homme
Le changement de paradigme majeur de l’Agenda 2030 est la responsabilité partagée de tous les pays en matière de développement durable. Il consacre également le principe central de “ne laisser personne de côté”. Il s’agit d’un agenda inclusif dont les 17 objectifs sont liés entre eux et dépendent les uns des autres.
L’Agenda 2030 est orienté par le cadre international des droits de l’homme et repose sur celui-ci. L’éducation est un droit humain fondamental en soi, ainsi que le préalable indispensable pour réaliser tous les autres droits de l’homme. L’ODD 4 sur l’éducation est donc à la fois un objectif à part entière et une condition préalable à la réalisation de tous les autres objectifs. En outre, la mise en œuvre du droit de tous les individus à avoir accès à une éducation de bonne qualité, inclusive et équitable est la pierre angulaire qui permet de s’assurer que personne n’est laissé de côté. Ce n’est qu’à cette condition que les minorités les plus exposées, y compris les personnes en situation de handicap, peuvent bénéficier sur un pied d’égalité d’autres mesures et projets, par exemple la création d’emplois décents.
Par conséquent, l’éducation doit être reconnue comme une priorité de la CI dans tous les pays. En regard de notre avenir climatique par exemple, une éducation de qualité et l’apprentissage tout au long de la vie pour tous doivent être la base qui permettent à chaque personne de prendre des décisions informées et réfléchies qui contribuent à des solutions globales durables. C’est pourquoi le RECI a salué la reconnaissance de l’importance de l’éducation pour tous les objectifs de développement par le conseiller fédéral Ignazio Cassis lors du deuxième Swiss IC Forum à Genève le 15 février 2023.
Dans ce contexte, il est important d’inclure l’éducation en tant que thème prioritaire de la Coopération internationale suisse et de mentionner son rôle irremplaçable dans la réalisation des autres objectifs.
3. Une éducation de qualité et un apprentissage tout au long de la vie pour tous : utiliser le savoir-faire suisse
Pour que la contribution de l’éducation en faveur du développement durable puisse être pleinement déployée, elle doit être envisagée et traitée de manière holistique. C’est pourquoi le RECI plaide pour une compréhension transformatrice de l’éducation de qualité, qui sert de catalyseur intersectoriel pour le développement durable et la création d’une société juste et pacifique.
L’investissement dans l’éducation doit être abordé dans le sens d’un continuum inclusif et perméable d’éducation pour tous, comprenant l’éducation enfantine, l’éducation de base, l’enseignement secondaire, l’enseignement professionnel et universitaire et l’éducation et la formation des adultes dans des contextes formels, non formels et informels, avec la participation de tous les acteurs concernés à tous les niveaux (y compris décentralisés) qui garantissent des approches adaptées au contexte local et où personne n’est laissé de côté.
C’est cette vision intégrée de l’éducation qui façonne la politique éducative et la gouvernance suisses, garantissant ainsi la valeur et la qualité de l’éducation suisse, et qui constitue le cœur du succès du système suisse d’éducation duale, notamment en ce qui concerne la qualité de sa formation professionnelle.
À cet égard, la stratégie de la CI doit valoriser le savoir-faire suisse et rendre justice aux différents niveaux d’éducation, à la perméabilité entre ceux-ci, ainsi qu’aux différents domaines d’éducation de manière équilibrée et holistique, au lieu de se concentrer principalement sur l’EFP.
En outre, les ONG suisses travaillant en Suisse et dans le monde, dont beaucoup ont une grande expertise et un engagement actif dans le domaine de l’éducation, représentent une part importante et indispensable de la richesse du savoir-faire suisse qui apporte des contributions significatives à la réalisation du CI de la Suisse, et devraient également être reconnues et promues à leur juste valeur.
II. Recommandations spécifiques
Nous partageons les recommandations suivantes, spécifiques à l’éducation, telle que définie précédemment :
- Objectif “Développement humain” : Mettre l’accent sur l’éducation en tant que thème principal
Nous recommandons de mettre l’accent sur l’éducation en tant que thème clé du développement humain en ajoutant un paragraphe spécifique sur l’éducation dans l’objectif “développement humain”, afin de rendre plus visible l’engagement de la Suisse dans ce domaine. Ceci est important pour les raisons suivantes :
L’éducation est un droit humain fondamental. L’éducation est cruciale pour l’apprentissage et le bien-être des individus et constitue une condition préalable au développement de leur plein potentiel. L’éducation est également un catalyseur pour le développement durable, la création de sociétés justes et pacifiques et le développement économique soutenable. Par conséquent, l’éducation est essentielle pour relever les défis globaux auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Pendant les crises humanitaires, l’accès à l’éducation a un rôle protecteur pour les enfants et les jeunes, et elle facilite le rétablissement des sociétés après la crise. Dans le contexte du changement climatique, elle permet aux personnes de prendre des décisions éclairées et réfléchies qui contribuent à des solutions mondiales durables.
Il existe une crise mondiale de l’apprentissage : des millions d’enfants et de jeunes n’acquièrent pas les compétences fondamentales essentielles, soit parce qu’ils ne sont pas scolarisés, soit parce qu’ils sont scolarisés mais n’apprennent pas correctement. L’UNESCO prévoit que d’ici 2030, 20 % des jeunes de 14 à 24 ans et 30 % des adultes ne sauront pas lire. Cette crise est exacerbée par les effets conjugués des conflits, de la pandémie de Covid-19 et du changement climatique. Le nombre d’enfants ayant besoin d’un soutien urgent en matière d’éducation a triplé depuis 2016 pour atteindre 222 millions. Les enfants et les jeunes les plus touchés par les inégalités et les discriminations sont les plus affectés, notamment les filles, les personnes en situation de handicap, les réfugiés, les enfants migrants et déplacés, et ceux issus des ménages aux revenus les plus faibles. Parallèlement, l’éducation est l’ODD le moins financé, et l’écart de financement se creuse avec l’augmentation des besoins éducatifs non satisfaits à travers le monde.
- Objectif “Développement humain” : Souligner l’importance du continuum éducatif et promouvoir l’éducation de manière holistique
Nous recommandons vivement d’aborder le thème de l’éducation de qualité de manière holistique, en reconnaissant l’importance d’un continuum éducatif inclusif et perméable allant de l’éducation enfantine à l’éducation et à la formation de base, secondaire, tertiaire, professionnelle et des adultes dans des cadres formels, non formels et informels. L’investissement dans l’enseignement et la formation professionnels ne peut porter ses fruits que s’il repose sur une base solide d’éducation de base de qualité, et s’il peut être complété par la possibilité de continuer à apprendre tout au long de la vie. Cela contribue à garantir un marché du travail innovant et humain offrant un travail décent et des possibilités d’emploi sans discrimination.
En ce sens, la stratégie de la CI doit rendre justice aux différents niveaux d’éducation de manière équilibrée et holistique, sans se limiter à l’enseignement et à la formation professionnelle.
Objectifs “Développement économique durable”, “Climat et environnement”, “Paix et gouvernance” : Reconnaître l’importance de l’éducation comme prérequis pour leur réalisation
L’éducation est non seulement un objectif de développement en soi, mais aussi un moyen d’atteindre tous les autres ODD : l’éducation fait non seulement partie intégrante du développement durable, mais elle en est aussi un catalyseur essentiel, comme l’a si justement souligné M. Cassis en début d’année. Malheureusement, la proposition de stratégie suisse de CI 2025-2028 ne reflète pas cette contribution aux objectifs fixés. Selon nous, il s’agit d’une occasion manquée qui entraînera des coûts d’opportunité considérables à moyen et à long terme.
Nous recommandons donc de mentionner l’éducation et son rôle irremplaçable dans la réalisation des objectifs de la Stratégie CI dans les sections suivantes :
Développement économique durable
L’éducation fournit à la main-d’œuvre actuelle et future les qualifications et les compétences nécessaires pour faire tourner l’économie, créer des emplois décents, stimuler l’innovation et la compétitivité et générer des gains de productivité. Une éducation de base de qualité est également une condition préalable à un enseignement et une formation technique et professionnelle (EFTP) axés sur les compétences et répondant aux besoins du marché du travail. L’éducation est donc vitale pour le développement économique et le financement de l’éducation offre un retour sur investissement élevé. En outre, la fracture numérique croissante exige que l’on fournisse des compétences numériques de base accessibles à tous.
En outre, le développement économique inclusif, “ne laissant personne de côté”, n’est possible que si les personnes défavorisées ont un accès égal à une éducation de qualité. La coopération de la Suisse en matière d’éducation devrait donc aussi bénéficier les personnes en déplacement , y compris les personnes en situation de vulnérabilité..
Climat et environnement
En améliorant les connaissances, en inculquant des valeurs et en modifiant les attitudes, l’éducation a la capacité d’accroître la sensibilisation à l’environnement et la préoccupation environnementale : Elle a un pouvoir considérable pour changer les modes de vie et les comportements nuisibles à l’environnement, par exemple les modes d’utilisation des ressources. Elle rend également les gens plus engagés et plus enclins à soutenir les décisions politiques qui protègent l’environnement.
En outre, l’éducation permet aux gens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en favorisant la résilience et en réduisant la vulnérabilité. Les stratégies visant à atténuer les effets du changement climatique devraient donc inclure des éléments d’éducation afin d’améliorer la compréhension des risques, de la nécessité de s’adapter et des mesures d’atténuation viables.
Paix et gouvernance
L’éducation contribue à la prévention des conflits : c’est un moyen privilégié pour promouvoir la tolérance, l’appréciation de la diversité et la cohésion sociale. L’éducation joue également un rôle important après les conflits en contribuant à la transformation sociale et à la réconciliation. On peut, par exemple, en analyser les politiques éducatives et les programmes d’études en fonction de leur potentiel d’aggravation ou d’atténuation des conflits.
L’accès équitable à l’éducation favorise la participation égale des personnes de tous les sexes, des minorités et des groupes marginalisés aux processus politiques. Il renforce la prise de décision inclusive, participative et représentative en permettant aux gens de se faire une opinion éclairée sur les questions qui les concernent, de s’engager plus activement et de manière plus constructive dans
les débats politiques et de demander des comptes aux acteurs politiques. Une société civile forte est essentielle au bon fonctionnement des institutions démocratiques et de l’État de droit. La force la plus importante des acteurs de la société civile est leur capacité d’analyse critique et d’action, pour laquelle un système éducatif solide est une condition préalable essentielle. L’éducation contribue également à réduire la corruption politique en favorisant le soutien aux contrôles et équilibres institutionnels qui sont nécessaires pour détecter et punir les abus de pouvoir, et elle diminue également la tolérance à l’égard de la corruption.
Questions transversales : égalité des sexes et respect des droits de l’homme
L’éducation est essentielle dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle permet aux femmes, aux hommes, aux garçons et aux filles d’identifier les différentes formes de discrimination, de violence et d’inégalité entre les sexes, d’en comprendre les causes et de prendre des mesures pour les surmonter. Il est tout aussi important d’être conscient des opportunités et des avantages offerts par la pleine égalité des sexes et la participation au processus législatif et à la prise de décision, ainsi qu’à la gouvernance. L’éducation permet aux femmes et aux filles de faire des choix plus éclairés concernant leur vie, de faire entendre leur voix et d’obtenir un emploi décent.
L’éducation est également un facteur important dans la promotion des droits de l’homme : Elle permet aux gens d’être conscients de leurs droits, de savoir comment les revendiquer et les défendre. Elle joue un rôle clé dans la protection des enfants et des adultes contre l’exploitation, le travail dangereux et l’exploitation sexuelle. L’éducation aux droits de l’homme est essentielle à la promotion et à la réalisation de relations stables et harmonieuses entre les communautés et à la promotion de la compréhension mutuelle, de la tolérance et de la paix.
III. Recommandations générales
En outre, nous aimerions partager les recommandations générales suivantes :
Éviter une baisse massive des quotas d’APD
Dans un contexte de défis mondiaux de plus en plus importants, de stagnation dans la réalisation des ODD, d’inflation croissante et de contributions élevées pour l’Ukraine, le ratio APD/RNB projeté de 0,36 % (à l’exclusion des coûts de l’asile) est insuffisant. Le ratio est inférieur à 0,4 % pour la première fois depuis 2013. Le ratio s’est établi en moyenne à 0,42 % au cours des dix dernières années. Le chiffre proposé pour 2025-28 est aussi bas qu’il y a 20 ans, en 2003. Le crédit-cadre de la CI doit être ajusté pour atteindre un ratio APD/RNB projeté (hors coûts de l’asile) d’au moins 0,42 % et idéalement de 0,45 % pour 2025-28. À long terme, l’objectif des Nations unies de 0,7 % (coûts de l’asile inclus) doit être atteint.
- Comptabilisation extraordinaire des fonds destinés à soutenir l’Ukraine et la région environnante (aide humanitaire et reconstruction)
L’aide prévue pour l’Ukraine, d’un montant de 1,5 milliard, soit 13 % du crédit-cadre de la CI, se fait au détriment d’autres crises et besoins importants dans l’hémisphère Sud. En raison de la situation sécuritaire exceptionnelle en Europe depuis la guerre en Ukraine et des développements difficilement prévisibles et planifiables liés à cette guerre, les dépenses liées à la guerre en Ukraine peuvent et doivent être comptabilisées sur une base de crédit supplémentaire.
Il convient d’assurer la poursuite d’une coopération durable et de mettre l’accent sur les pays les moins avancés et les régions du Sud touchées par les crises.
Aller au-delà de la réponse aux crises – s’attaquer aux causes profondes
Les droits de l’homme, en tant que fondement des sociétés démocratiques, doivent avoir la priorité sur d’autres intérêts particuliers. Dans ce contexte, la mention de l’accès à une éducation de qualité pour tous en tant que priorité de l’aide humanitaire et en tant que question transversale dans d’autres secteurs de la coopération internationale est la bienvenue. En outre, le RECI insiste sur la nécessité de renforcer la cohérence des politiques dans tous les domaines, en particulier les politiques économiques, financières et fiscales qui affectent les pays en développement, ainsi que les politiques migratoires.
Pour aller au-delà d’une réponse à la crise, les pays en développement ont besoin d’un environnement qui leur permette de financer et de développer leurs services de base de manière indépendante. La Suisse devrait utiliser sa position privilégiée en tant que l’un des pays les plus riches du monde et l’un des principaux centres bancaires globaux pour influencer les organisations multinationales afin qu’elles mettent en place des systèmes financiers et fiscaux équitables. En attendant que des progrès soient réalisés à ce niveau, la Suisse devrait s’efforcer d’augmenter la part du budget de la CI qu’elle consacre à l’éducation pour se rapprocher des 20 % qui correspondent à la part du budget national que la plupart des pays en développement se sont engagés à consacrer à l’éducation.
Comme indiqué ci-dessus, investir dans une éducation de qualité signifie aller au-delà de la réponse à la crise, car cela permet de s’attaquer aux causes profondes des défis économiques, écologiques et de gouvernance. Pour réaliser son potentiel, l’éducation doit être considérée comme un tout – apprentissage tout au long de la vie et éducation transformatrice et inclusive.
Vicques, le 18 septembre 2023
Au nom du comité et des membres du RECI
Beatrice Schulter, directrice exécutive,
beatrice.schulter@reci-education.ch